La Coupe du Monde 1930 (part 1): la création de la Coupe du Monde

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Préambule

Tout ce que je vais raconter ici ne sont que des faits rapportés. Je les ai lus sur internet et ailleurs. Il me tient tout de même à cœur de parler d'un journaliste duquel je vais grandement m'inspirer pour ce blog. Nombre des histoires que je vais raconter je les tiens d'une émission italienne qui avait pour présentateur le journaliste Federico Buffa, totalement inconnu par ici mais dont les qualités de storyteller ne sont plus à prouver en Italie.

Au commencement...

Il n'y avait rien... Enfin, si. Là où je vous emmène, à l'époque à laquelle je vous emmène, le football au niveau organisationnel existait. Cela fait un peu plus de 40 ans que la FA, la fédération anglaise de football, est née. Le football s'est installé dans la majorité des grands pays européens et des championnats, professionnels ou amateurs, sont disputés par-ci par-là.

Nous sommes le 1er mai 1904, à Uccle, au Stade du Vivier-d'Oie. La France et la Belgique se préparent à entamer la première rencontre les opposant, dans le cadre de l'amitié franco-belge. L'équipe française, composée principalement de joueurs évoluant à Paris, s'est préparée en affrontant le Southampton, le club anglais aujourd'hui disparu du Corinthians, et une équipe hybride faite de joueurs étrangers des clubs parisiens. La Belgique les attend à Bruxelles avec une équipe composée par des joueurs de l'Union Saint-Gilloise et du Racing Club de Bruxelles. Le match se joue et le score au final est de 3-3. Mais quelle importance me direz-vous? Et bien, il faut savoir que certains dirigeants se rencontrent et ont l'occasion de se parler de vive voix, et non d'échanger des lettres comme il était coutume à l'époque. Notamment, Guérin, français, et Mullinghaus, belge, proposent de créer une organisation à but non lucratif censée réguler le football. Le 21 mai se tient une réunion qui voit la naissance de la FIFA, avec Guérin comme premier président.

Très vite, dès la première réunion en vérité, l'organisation d'une Coupe du Monde est décidée. Les suisses se proposent de l'organiser, et même les grands maîtres de l'Angleterre décident d'y participer si la compétition est amateur. Sauf qu'un an plus tard, la Suisse revient en disant qu'il est bien beau d'organiser une compétition de ce genre, mais avec qu'un seul inscrit, il sera compliqué de la continuer. Les anglais, initialement enthousiastes, se sont vite retirés. Les autres nations ne sont pas moins réticentes. La FIFA est dans une impasse.

Le mondial devient par défaut les Jeux Olympiques, et ce à partir de 1908. La discussion ne reviendra pas sur la table avant longtemps. Premièrement parce-que c'est convenable à la FIFA. Et deuxièmement parce-que de 1914 à 1918, la Guerre fait rage. La FIFA en sortira meurtrie, n'ayant plus qu'une petite dizaine de membres en son sein. Entre alors en scène le premier grand protagoniste de la naissance de la Coupe  du Monde.

L'Ascension de Jules Rimet et la tornade uruguayenne

En 1921, la FIFA décide de nommer comme président le fondateur du Red Star FC, Jules Rimet. En réalité, il n'entre pas seulement maintenant dans l'histoire: il y est depuis le début. Il était là, en 1904. Il était là lorsque la proposition de mondial fut avancée. Il était là quand elle a été annulée. Survivant de la Guerre, Rimet reprend son rôle de Président du CFI de la FIFA et devient également Président de la FFFA, qui aujourd'hui est plus connue sous l'acronyme FFF.

Petite anecdote à ce stade: vue l'expansion du football et l'émergence de nouvelles formes de ce football, ce sport était nommé "Football Association" pour les différencier des autres. C'est pour cela que l'on appelait la FFF la FFFA, et c'est également pour cette raison que l'acronyme FIFA signifie "Fédération Internationale de Football Association".

Rimet, dès 1919, fait entendre sa voix. Il s'oppose directement au fédérations anglaises qui proposaient d'exclure les pays vaincus de la Grande Guerre de toutes compétitions et de la FIFA même. Rimet a une idée en tête: rassembler la grande famille du football autour du football. Et évidemment, une grande compétition pourrait l'y aider. Et dans un coin de sa mémoire, ce projet de Coupe du Monde avorté refait surface. En attendant, les JO de 1924 se tenant à Paris doivent être organisés, sous la tutelle de Pierre de Coubertin évidemment.

Les JO de 1924 voient cependant une arrivée très remarquée. Directement venue de l'autre côté de l'Atlantique, une équipe qui n'est pas venue jouer la figuration va prendre part au tournoi. Fondatrice en 1916 de la COMNEBOL avec ses homologues argentines, chiliennes et brésiliennes, la fédération uruguayenne intègre la FIFA en 1923. Gagnante la même année de la Copa America, l'équipe nationale uruguayenne est invitée à participer aux JO de Paris, invitation acceptée. Un climat de curiosité s'installe: personne n'avait vu jouer les uruguayens, des personnes doutent même du fait qu'ils sachent même jouer correctement au football.

L'Uruguay sait jouer au football, et même excellemment bien jouer. Elle domine depuis la fin des années 1910 le football sud-américain et n'a que des ambitions de grandeur. Au comment le football y est arrivé, comme se posaient certainement les européens à l'époque, la réponse est claire: les britanniques. Ces voyageurs du monde ont apporté le football un peu partout, en Europe ou ailleurs. Par exemple, si vous vous demandez pourquoi le plus vieux club d'Italie se nomme le Genoa et non le Genova, comme ce serait normalement le cas, c'est parce-que ses fondateurs sont britanniques (et accessoirement, ça explique le nom "Genoa Crickett and Football Club"). C'est la même histoire avec l'Amérique du Sud, comme au Brésil et le club de la Fluminense. En Uruguay, le football arrive en 1870, notamment avec la fondation du Montevideo Crickett Club, par des émigrés anglais. L'importante immigration aidera à l'expansion du football, qui résulte en la création de la fédération uruguayenne de football en 1900. Pour étayer mon propos, un exemple très clair va suivre. Il met en lumière les quatre clubs fondateurs de la fédération. L'Albion F.C, le club le plus vieux de l'Uruguay, est fondé par des anglais; c'est le cas également du Central Uruguay Railway Cricket Club, qui deviendra plus tard le Peñarol, nom tiré du quartier dans lequel le club est basé, quartier qui tire lui-même son nom d'un village italien (Pinerolo) que des immigrés avaient quitté pour la capitale Montevideo; le Deutscher Fussball Klub, comme son nom l'indique, est fondé par des allemands; et enfin, l'Uruguay Athletic Club, bien uruguayen lui (à ne pas confondre avec le club du même nom dont la fusion avec le Montevideo FC donnera le Nacional).

Tout ce laïus pour vous dire que logiquement, on s'attend à les voir jouer à l'anglaise. Un certain Herbert Chapman et son WM (trois défenseurs, deux milieux défensifs, deux milieux intermédiaires et trois attaquants, de sorte à former un W en attaque et un M en défense) n'ayant pas encore inventé le WM, la formation est celle retrouvée partout, le 2-3-5 pyramidal, un dispositif qui incite les longs ballons de la défense vers l'attaque. L'Uruguay utilise cette formation, mais penser qu'ils la joueraient à l'européenne est une monumentale erreur. Erreur que fit la Yougoslavie, qui envoya des espions pour récolter des informations. Les joueurs de la Celeste les ont remarqués, malheureusement pour les Yougoslaves. Malheureusement car ils vont faire en sorte de mettre en place l'entraînement le plus ridicule qui soit. Un club de D3 amateur en France serait passé pour le Brésil de Pelé à côté. Évidemment, les yougoslaves rentrent confiants. "On gagne demain" se disent-ils. Andrade, un des meilleurs joueurs de son temps, un incapable. Scarone est un abruti (le FC Barcelone le recrutera deux ans après, pour pas longtemps), Petrone ne sait pas marquer un but (Meilleur buteur de la compétition). Le jour du match, le score est sans appel: 7-0 pour l'Uruguay. Elle va remporter la compétition en enfilant 3 buts ou plus à tout le monde, sauf aux Pays-Bas, battus 2-1 en demi-finale. Quelle était la différence de jeu? Garder la balle, des passes courtes, une bonne occupation de l'espace et de la technique. Des éléments limite banaux aujourd'hui, mais une révolution à l'époque.

Amsterdam 1928 et l'arrivée de l'Argentine

C'est en 1924 que Rimet décide de vraiment s'intéresser de plus près à la création de la Coupe du Monde. L'arrivée de la superbe équipe uruguayenne démontre que le football est assez grand même hors Europe, en Amérique plus particulièrement. Mais est-ce assez? Entre en scène l'autre équipe qui va choquer le monde. Mesdames et messieurs, les grands rivaux de l'Uruguay en Amérique du Sud, l'Argentine. La seule équipe qui pouvaient les inquiéter, avec, pour une raison qui m'est inconnue, le Paraguay. Encore un exemple de football venu par l'immigration, la fédération argentine de football étant fondée en 1891 par un écossais. L'équipe d'Argentine est encore plus technique que l'Uruguay, à tel point que certaines techniques ont été inventées et nommées par cette équipe. Un exemple un peu hors-sujet pour l'illustrer: Roberto Infante, dans les années 1940, inventa la Rabona, ou coup du foulard. C'est une "pratique" dérivée de ce qui se passait dans les années 20.

La fédération argentine a eu vent des succès de l'Uruguay à Paris. L'envie de battre son rival en devient de plus en plus grande. Ces deux nations sont extrêmement liées, tant historiquement que culturellement, mais également extrêmement hostiles l'une à l'autre, tant historiquement que sportivement. Ne jamais dire à un Uruguayen que le tango est né en Argentine, et vice-versa, à un Argentin que le tango est né de l'autre côté du Rio de la Plata. En 1925, l'Argentine remporte la Copa America mais la victoire, bien que belle, donne un sentiment d'insatisfaction car l'Uruguay avait déclaré forfait avant le début de la compétition. En 1927, par contre, une autre Copa arrive, et cette fois-ci, en battant l'Uruguay 3-2 pendant le tournoi, suite à un autobut de Canavessi. Quelle belle occasion que de réitérer l'exploit en Europe, à Amsterdam précisément.

Les JO de 1928 voient les deux équipes dominer comme prévu. La réputation du WM d'Herbert Chapman a atteint les pays outre-Atlantique désormais. L'Argentine débute en refilant un puissant 11-2 aux États-Unis. L'Uruguay commence doucement avec un 2-0 face aux Pays-Bas. Il est dorénavant clair que la finale sera entre ces deux équipes. L'Argentine se balade 6-3 face à la Belgique et 6-0 face à l'Égypte. L'Uruguay en refile 4 à l'Allemagne et galère à passer la coriace Italie, 3 à 2, qui est en train de monter en puissance. Les finales sont tendues. Les finales? Oui, car la première se termine sur un partage, 1-1. La seconde sera remportée 2-1 par... L'Uruguay. Le but de la victoire est entrée dans l'histoire: Borjas, le métronome de l'équipe au milieu, et Hector Scarone, l'un des cadors de l'équipe, ne se parlent plus depuis des mois. Lorsque Borjas se retrouve ballon au pied avec la possibilité de lancer Scarone en profondeur pour le but de la victoire, il n'hésite pas et lui envoie un ballon réglé au millimètre en criant "Tuya Hector!". Il paraît qu'en Uruguay (source Buffa, que je n'ai pas pu vérifier) mettre "Tuya Hector" à la fin d'un message permet de renouer des liens précédemment mis à mal avec un ami ou un proche.

La création proprement dite

Les JO débutent le 27 mai 1928. Le 28, Jules Rimet annonce la création de la Coupe du Monde pour 1930, avec les JO d'Amsterdam à l'appui. Un pari risqué que Rimet et Henri Delauney sont bien décidés à prendre: imaginez si cette compétition s'était mal passée. Mais en réalité, elle se passe on ne peut mieux. L'arrivée de l'Argentine sert même à prouver que le foot est désormais assez grand pour qu'il soit envisageable de créer une compétition mondiale à part. Le statut professionnel ou amateur de la compétition reste à déterminer, mais Rimet se dirige vers un statut professionnel. C'est ce qui créera une dissension entre la FIFA et le CIO (Comité International Olympique) qui préfère un statut amateur: c'est ce point qui exclura le football des JO de 1932.

Reste à savoir où la jouer. La date est prévue pour 1930. Évidemment, l'Uruguay a ses arguments. Premièrement, ce sera le centenaire de l'Indépendance obtenue en 1830 des argentins. Deuxièmement, ils ont la plus forte équipe du monde. Troisièmement, la fédération propose de payer les frais à charge des équipes nationales venant faire ce long voyage. Ils promettent également de construire un stade capable de contenir 60.000 spectateurs, l'équivalent de l'affluence cumulée au Stade de Colombes et du Stade Olympique d'Amsterdam lors des deux finales des JO (en ne considérant que la finale décisive de 1928).

En face, les pays européens se mobilisent mais seul l'Uruguay semble disposé à construire un stade pour l'occasion. Seule l'Italie résiste, car Benito Mussolini, au pouvoir depuis 1922, y voit une occasion en or pour exposer son pays en vitrine. Mais même les Pays-Bas, organisateur récent des JO, désiste. Finalement, l'Italie désiste également, mais vexée, ne se présentera pas à cette Coupe du Monde. Le 18 mai 1929, à Barcelone, le congrès de la FIFA désigne l'Uruguay comme pays organisateur. Rimet et Delaunay ont réussi leur pari.

Petit mot sur Delaunay à ce stade. On n'a pas conscience de l'importance de cet homme sur le football. Il était le secrétaire de FFFA et un délégué de la FIFA. En 1927, il a proposé de créer une coupe d'Europe de football, qui verra le jour en 1960, et toujours dans les années 1920 il est le premier à proposer une Ligue des Champions, projet qui verra le jour sous la pression de l'Équipe en 1955, qu'il verra aboutir deux mois avant sa mort en novembre de la même année. Le trophée de l'Euro porte son nom.

Pour la coupe, logiquement baptisée "Coupe Rimet" en 1946, Il est demandé à Abel Lafleur de la fabriquer. Celle-ci représente Niké ailée, la déesse de la victoire, et est d'argent plaquée or. En 1930, la coupe fraichement sculptée embarque pour l'Uruguay avec Jules Rimet, qui la gardera dans sa cabine le temps du voyage.

Les ingrédients sont prêts. Il ne reste qu'à débuter la première édition de plus grande compétition footballistique de l'histoire du jeu.

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